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Variations autour de la tâche dans l'enseignement / apprentissage des langues aujourd'hui

What kind of tasks are used for L2 teaching and learning today?
Elke Nissen

Résumés

Cet article se donne pour objectif d'identifier les types de tâches, et leurs dénominateurs communs, qui sont présentés aujourd'hui – où "l'approche par les tâches" est soutenue par le Conseil de l'Europe – aux apprenants. Il analyse pour cela les articles issus de deux numéros de revues et un ouvrage collectif récents. Il apparaît que la grande majorité des scénarios pédagogiques s'y inscrit dans la perspective actionnelle... du moins d'après la déclaration des auteurs, car leur définition de ce qu'est une tâche ne correspond pas toujours à celle du CECR. Pour le public visé, étudiants ou professionnels, on propose le plus souvent des mono-tâches, mais également des projets, ou encore des simulations avec un enchaînement de plusieurs tâches. Elles s'inscrivent généralement dans la (future) réalité sociale des apprenants, mais certaines laissent également la place à des thèmes artistiques ou (inter)culturels. Contrairement à ce que l'on aurait pu attendre dans une démarche qui responsabilise l'apprenant, le recours à Internet n'est pas toujours systématique.

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Texte intégral

Date de réception de l'article : 1 février 2011 ; date de réception de la version définitive : 24 mai 2011.

1. Introduction

1Quelles sont les tâches proposées aujourd'hui aux apprenants ? Quel est leur statut dans le scénario ? Quels sont leurs dénominateurs communs ? En réponse à ces questions, le présent article se donne pour objectif de recenser les tâches décrites dans plusieurs publications récentes sur le CECR, Cadre européen commun de référence pour les langues (Conseil de l'Europe, 2001) et dans des dispositifs médiatisés, afin de voir, d'une part, quelles interprétations et applications de l'approche par les tâches du CECR ont été faites, mais aussi, d'autre part, si cette approche est largement entrée dans les "mœurs", comme méthodologie prépondérante actuelle de l'enseignement-apprentissage des langues, ou, tel que le dirait une voix plus critique, comme "la dernière méthode à la mode" (Frath, 2008 : 15).

2Cet article se base ainsi sur la lecture de deux numéros de revues, explicitement en lien avec le CECR, Les langues modernes. Le Cadre européen : où en sommes-nous ? (Frath (dir.), 2008) et Le français dans le monde – Recherches et applications. La perspective actionnelle et l'approche par les tâches en classe de langue (Rosen (dir.), 2009), ainsi que sur un ouvrage portant sur une problématique autre que le CECR, et qui nous permettra donc de resituer les dispositifs basés explicitement sur le CECR parmi d'autres, pouvant s'inscrire dans d'autres approches, Dispositifs médiatisés en langues et accompagnement-tutorat, dirigé par A. Rivens Mompean et M.-J. Barbot (2009).

3Un tout premier constat qui doit être fait est que, tout comme le postule l'appel à communications pour le colloque Tidilem 2010 qui nous a incitée à faire cette analyse, "les exemples concrets de macro-tâches, tâches, etc. sont assez rares dans la littérature du domaine". Sur les 36 articles et chapitres d'ouvrage des publications susmentionnées, seuls 13 font référence à des tâches ou dispositifs concrets (Auger & Louis, 2009 ; Besnehard et al., 2009 ; Dervin, 2009a, 2009b ; Durietz & Jérôme, 2009 ; Grundy, 2009 ; Hamez & Lepez, 2009 ; Lepez, 2008 ; Mangenot & Penilla, 2009 ; Nissen, 2009 ; Oritz & Denorme, 2009 ; Reinhardt, 2009 ; Villanueva, 2009 ; nous n'avons pas pris en compte ici les textes détaillant le fonctionnement de centres de ressources en langues, s'ils ne décrivaient pas une scénarisation concrète de l'apprentissage).

4Comme le spécifiera la suite du présent article, les tâches et dispositifs décrits dans ces publications intègrent tous, sans exception, des éléments du CECR, mais pas forcément sa perspective actionnelle (2ème partie). D'autres dénominateurs, communs à presque toutes les scénarisations proposées, apparaissent lors de l'analyse des textes : leur centration sur la tâche, leur "réalisme", leur action finalisée et l'utilisation d'Internet (3ème partie).

2. Une incontournable référence au CECR

5Trois aspects majeurs du CECR sont retenus dans ces 13 textes. A minima, les textes font référence au premier de ces aspects, c'est-à-dire aux niveaux de référence. La plupart se réfèrent également à l'un ou l'autre de ces aspects : soit au portfolio européen pour les langues (PEL) et / ou au plurilinguisme, soit à la perspective actionnelle. Quelle que soit la référence au CECR, elle semble ainsi aujourd'hui incontournable.

2.1. Référence aux niveaux de compétences en langue

6Certains voient dans le CECR exclusivement "un référentiel divisé en six niveaux (…). Il distingue cinq activités langagières (…). Le référentiel est composé de 'descripteurs de compétences' qui s'expriment en termes de capacités" (Frath, 2008 : 12). Mais que ce soit là la prise en compte exclusive du CECR ou non, lorsque des niveaux de compétences en langue sont exprimés, ils le sont toujours en termes de A1, A2, B1, B2, C1 ou C2. Cela montre que la grille des descripteurs de niveaux de compétences en langue du CECR est extrêmement bien acceptée et répandue.

2.2. Référence au plurilinguisme

7Une fois que l'on a constaté, grâce à cette grille des compétences, qu'un apprenant peut avoir des niveaux différents dans les différentes compétences (lire, écrire, écouter, parler, communiquer), il est possible de valoriser même des compétences partielles, en compréhension écrite par exemple, d'une langue étrangère. On a des compétences même si l'on ne maîtrise pas la langue étrangère comme un locuteur natif, même si ces compétences sont peut-être minimes. Le PEL met en avant toutes les compétences dans toutes les langues que peut avoir la personne (y compris dans celles non valorisées habituellement par l'apprentissage scolaire, comme une langue maternelle telle que l'arabe ou le turc par exemple). Il devient ainsi un outil en vue du plurilinguisme ; outil mis en place à différents niveaux de l'enseignement (cf. Sagol Marc, 2008, pour un compte-rendu d'expérience au collège, et Taillefer, 2008, pour le niveau universitaire). Ce sont des textes du numéro des Langues modernes qui mettent ainsi l'accent sur cet élément promu par le CECR : le plurilinguisme – et l'intérêt que porte le coordinateur de ce numéro, P. Frath, au PEL y est sans doute pour quelque chose…

2.3. Référence à la perspective actionnelle

8Il est vrai que la perspective actionnelle n'est pas décrite de manière très explicite dans le CECR (Springer, 2009 : 28 ; Frath, 2008 : 15), et qu'il faut lire entre les lignes pour la déceler, comme l'a fait en premier Puren (2002). Le fait qu'il soit historien de la didactique des langues n'est pas innocent dans cette focalisation sur la perspective actionnelle. En effet, en Allemagne par exemple, une telle interprétation du CECR comme étant une nouvelle étape dans l'enseignement-apprentissage des langues n'a pas été faite, contrairement à la France, "où l'on considère dans une perspective historique qu'une méthodologie est toujours remplacée par une autre au fil du temps" (Delouis, 2008 : 30).

9La perspective actionnelle est évidemment abordée, au moins en filigrane, par tous les textes du numéro du Français dans le monde – Recherches et applications (dorénavant FDM-RA) portant sur La perspective actionnelle et l'approche par les tâches en classe de langue (dirigé par É. Rosen). Mais elle est présente également dans certains des dispositifs décrits dans l'ouvrage Dispositifs médiatisés en langues et accompagnement-tutorat (Dervin, 2009b ; Nissen, 2009) et dans le numéro des Langues modernes (Lepez, 2008). Il est intéressant de noter que deux de ces auteurs ont participé également au numéro du FDM-RA sur l'approche par les tâches (Dervin, 2009a ; Hamez & Lepez, 2009) et que la troisième a publié une thèse inscrite dans cette approche (Nissen, 2003). La perspective actionnelle ne fait parfois que rejoindre des pratiques pédagogiques existantes. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'enseigner à un public de migrants où l'accent est de toute façon mis sur la situation et sur la pédagogie de projet (Champion, 2009 : 144).

10Mais, si la référence à la perspective actionnelle est largement majoritaire dans les 13 textes faisant mention d'un dispositif ou d'une tâche, elle n'est cependant pas exclusive. En effet, l'approche communicative reste également présente. Ainsi, le projet européen Lingu@tic a permis de développer l'environnement électronique Franel.eu destiné à l'apprentissage du français et du néerlandais, dans un souci de promotion du bilinguisme dans une région frontalière (dans le nord de la France et en Belgique). Centré, après une étude des besoins, sur les besoins de l'apprenant et sur le recours aux documents authentiques (Besnehard et al., 2009 : 113-114), Franel.eu propose des modules, composés chacun de plusieurs unités, et dont chaque unité est basée sur l'exploitation d'un document vidéo. La conception des activités se fait ici à partir du document authentique et non à partir de la tâche, comme cela aurait été le cas dans une perspective actionnelle. Ce (seul) texte montre que si l'approche par les tâches se répand de plus en plus, elle ne devient cependant pas incontournable, d'autres méthodologies ont toujours droit de cité.

3. Catégorisation des tâches proposées

3.1. Les types de tâches proposées

11Une remarque préliminaire s'impose : aucun des textes analysés ne focalise sur une tâche simple. Celles-ci sont cependant généralement bien présentes dans les cours de langue et seraient donc à ajouter pour avoir une catégorisation plus complète. Mais leur présentation dans le cadre d'un article n'a sans doute pas paru primordiale aux auteurs.

12Les types de tâches proposées dans les différents textes étudiés, qui sont donc toutes complexes, peuvent être regroupés comme suit, dans un ordre de complexité croissante d'une catégorie à l'autre. Sans doute parce qu'elles sont plus faciles à mettre en place dans l'enseignement-apprentissage, ce sont les mono-tâches (la première des trois catégories énumérées ci-dessous) qui sont les plus fréquentes.

3.1.1. Mono-tâches

13Les mono-tâches sont des tâches uniques mais toujours complexes, c'est-à-dire nécessitant des étapes ou sous-tâches. Ces tâches, ainsi que leur déroulement, sont proposées par l'enseignant. Les exemples que nous en trouvons sont les suivants.

141) La réalisation d'une production écrite : suite à la compréhension orale travaillée avec des modules multimédia Legolang (Grundy, 2009), la rédaction d'une synthèse comme un des cheminements possibles dans le dispositif de formation à distance Babbelnet (Nissen, 2009) ; la rédaction d'une synthèse dans le cadre d'une "mission" à la façon du diplôme de compétences en langue (DCL) où l'apprenant réalise à la suite des activités de compréhension, d'interaction, puis de rédaction d'un mémo ou d'un rapport (Durietz & Jérôme, 2009) ; la rédaction d'un mémoire de licence dans le cadre d'études du français en Finlande (Dervin, 2009b).

152) La définition, en télécollaboration, de termes relevant du domaine de l'interculturel (Dervin, 2009b).

163) Une production orale : l'enregistrement d'un micro-trottoir, réagissant à la vision du pays des apprenants exprimée par des étrangers (Mangenot & Penilla, 2009), la préparation d'un exposé sur une question interculturelle, en interaction avec des étudiants étrangers (Dervin, 2009a).

174) La résolution de problème : les étudiants analysent une situation-problème extraite de "journaux d'étonnement" que tiennent d'autres étudiants pendant leur séjour Erasmus à l'étranger, et simulent en cours cette situation qui représente une difficulté d'ordre interculturel. Ces simulations sont filmées et servent ensuite à un travail sur la qualité des réponses apportées aux problèmes (Reinhardt, 2009).

3.1.2. Projet intégrant une ou plusieurs tâches

18Les exemples présents dans notre corpus de textes (la référence à la pédagogie de projet est ici systématiquement faite) concernent l'élaboration d'un projet culturel "de production et de communication d'objets culturels" tels qu'un cédérom de découverte de la ville, un cédérom d'accueil de nouveaux étudiants étrangers accompagné d'un forum d'expériences, la conduite de la visite guidée d'un musée, une revue de presse hebdomadaire (Lepez, 2008) ou un concours de bande dessinée sur un personnage encore inconnu en France (Hamez & Lepez, 2009).

19Comme le souligne Reinhardt, dans la pédagogie de projet, "idéalement, ce sont les apprenants eux-mêmes qui ont les idées pour le projet" (Reinhardt, 2009 : 46). Si lui-même ne donne pas cette liberté aux apprenants, les projets culturels mentionnés (Lepez, 2008 ; Hamez & Lepez, 2009) le font cependant. Ce qui distingue les projets des mono-tâches dans notre catégorisation, c'est qu'ils font donc en partie appel à une détermination de la thématique, voire du déroulement, par les apprenants. Par ailleurs, ils ne laissent pas de place à la simulation mais englobent toutes les étapes du projet, en commençant par sa planification – à laquelle participent donc largement les apprenants, jusqu'à sa réalisation effective, son explicitation devant un public autre que celui de l'enseignant et des apprenants du même cours, voire une confrontation finale avec le regard de ce "public autochtone" (Hamez & Lepez, 2009 : 54). Par ailleurs, le projet peut intégrer plus d'une tâche, le lien entre les tâches étant alors donné par la logique du projet.

3.1.3. Suite de tâches scénarisée

20Dans les deux textes décrivant une suite de tâches scénarisée (ou "curriculum scénarisé"), il s'agit de la préparation et / ou de la simulation d'un séjour d'un semestre dans une université étrangère, nécessitant la réalisation de différentes tâches qui s'enchaînent, comme par exemple la rédaction d'une lettre de motivation pour un dossier de candidature Erasmus (Oritz & Denorme, 2009) ; ou encore la recherche d'un appartement dans la ville universitaire et la fondation d'une co-location (Nissen, 2009). Contrairement aux projets impliquant plusieurs tâches, le choix des tâches ainsi que leur ordre relèvent dans la suite de tâches scénarisée toujours du choix de l'enseignant et sont en partie sujets à ses préférences pédagogiques (un autre enseignant aurait par exemple pu choisir d'autres tâches dans le cadre de la même situation ou insister sur d'autres aspects langagiers, pragmatiques, culturels, etc.; cf. 4.2.).

3.2. La tâche définit la cohérence de l'ensemble

21En ce qui concerne le statut de la tâche dans le scénario pédagogique, l'énumération qui précède montre que la tâche semble toujours être en son centre : ce que déclare Springer à propos du CECR est également vrai ici, "la tâche, cela a été dit et redit, est l'élément principal de l'édifice" (Springer, 2009 : 28). La mise en scène, ou le scénario pédagogique, correspond à la présentation de la tâche ou de l'ensemble des tâches et des activités à l'apprenant. Cela comprend les consignes, l'explicitation des objectifs, du produit attendu, des sous-tâches et activités prévues, des critères d'évaluation (s'ils ne sont pas élaborés conjointement avec les apprenants), de la durée prévue, de l'emplacement des ressources si le scénario fait appel à une plateforme, éventuellement des interactions prévues ou recommandées avec les différents acteurs de la formation (scénario communicatif), et idéalement la mise à disposition d'aides pour rendre l'apprenant autonome dans son travail, ainsi que l'indication des libertés et choix qu'a l'apprenant. Il s'agit donc de l'explicitation du dispositif de formation à destination des apprenants, ou du moins de la partie du dispositif qui concerne les apprenants en question, si le dispositif est plus large : il peut ainsi fonctionner à la manière d'un centre de ressources avec accompagnement et comprendre plusieurs "cheminements" ou scénarios pédagogiques possibles, comme dans Babbelnet (Nissen 2003 ; 2009).

22Lorsqu'il n'y a qu'une tâche, c'est elle qui détermine toutes les sous-tâches et aides apportées, ou autrement dit "toutes les activités seront orientées vers la [tâche]" (Durietz & Jérôme, 2009 : 63) – c'est du moins ce à quoi l'on s'attend dans la perspective actionnelle ; car en réalité, dans certains textes (Dervin, 2009a ; Grundy, 2009), le statut de la tâche décrite dans l'ensemble de la formation ou du cours n'est pas indiqué ; et dans d'autres, des tâches potentielles sont esquissées, mais leur scénarisation prévue n'est pas concrètement décrite (Auger & Louis, 2009 ; Villanueva, 2009). La figure 1 montre schématiquement le scénario pédagogique lorsqu'une seule tâche est proposée aux apprenants.

Figure 1 – Une seule tâche : centration du scénario pédagogique sur celle-ci.

Figure 1 – Une seule tâche : centration du scénario pédagogique sur celle-ci.

23Lorsqu'il y a plusieurs tâches, c'est la situation qui détermine la logique avec laquelle les tâches s'enchaînent dans le scénario. C'est ce que montre la figure 2. Dans les deux simulations dans notre corpus de textes (Oritz & Denorme, 2009 ; Nissen, 2009), cette situation correspond à un (futur) semestre dans une université à l'étranger. Ainsi, Oritz et Denorme indiquent le déroulement suivant dans le cadre de leur suite de tâches scénarisée : les étudiants, souvent en petits groupes, élaborent une grille pour le choix d'une université d'accueil en Erasmus, définissent les éléments d'une lettre de motivation et les présentent oralement aux autres, élaborent une grille d'évaluation de la lettre de motivation qu'ils vont écrire, puis choisissent l'université d'accueil sur Internet et présentent le résultat de leurs recherches au grand groupe. Un travail sur les stratégies de compréhension de l'écrit représente l'aide majeure dans le cadre de cette recherche.

Figure 2 – Suite de tâches scénarisée : enchaînement de tâches, dans une logique définie par la situation, au sein du scénario pédagogique.

Figure 2 – Suite de tâches scénarisée : enchaînement de tâches, dans une logique définie par la situation, au sein du scénario pédagogique.

24Dans l'accomplissement des tâches, l'apprenant doit faire appel à des compétences langagières, mais aussi à ses habiletés "cognitives, affectives, volitives et l'ensemble des capacités que possède et met en œuvre l'acteur social" (Conseil de l'Europe, 2001 : 15). La plupart des textes étudiés font mention d'un scénario prévoyant un travail sur les deux types de compétences, langagière d'une part et pragmatique, socio-linguistique, culturelle, cognitive, métacognitive, émotionnelle, etc., d'autre part. En fonction des préoccupations pédagogiques des concepteurs des scénarios, la focalisation sur d'autres aspects que l'aspect langagier peut même prendre une proportion importante. Ainsi, les compétences (inter)culturelles occupent une place prépondérante dans certains scénarios (Auger & Louis, 2009 ; Dervin, 2009a, 2009b ; Hamez & Lepez, 2009 ; Lepez, 2008). Ou encore, dans un scénario se déroulant pour partie dans un centre de langues (Oritz & Denorme, 2009), il en est de même pour la préoccupation de l'autonomisation de l'apprenant – historiquement justement bien liée aux centres de langues, en commençant par celui du Crapel.

3.3. Des tâches "réalistes"

25Sauf dans le cas de la "mission" décrite par Durietz & Jérôme (2009), qui s'adresse à des employés de l'ONU, le public cible de toutes les tâches et dispositifs décrits sont des étudiants. Les tâches sont "réalistes" dans la mesure où elles sont ancrées dans le (futur) contexte réel ou habituel de ces apprenants : il s'agit de travaux que doit effectuer habituellement un étudiant (un exposé, une synthèse, un mémoire) ou la préparation à des séjours à l'étranger dans le cadre des études (lors d'un séjour Erasmus par exemple). "Les tâches [authentiques] ou activités sont l'un des faits courants de la vie quotidienne dans les domaines personnel, public, éducationnel et professionnel", précise à ce sujet le CECR (Conseil de l'Europe, 2001 : 121).

26Il est sans doute significatif que seules des tâches conçues par des enseignants en cours de formation (des étudiants en master FLE) sortent de ce monde réel de l'étudiant. Il s'agit de la préparation d'un anniversaire pour une fille polynésienne fictive, ainsi que peut-être l'enregistrement de micros-trottoirs destinés à des personnes de l'entourage du tuteur, mais remis au tuteur uniquement. Mangenot et Penilla (2009), qui relatent ces activités, centrent justement leur article sur la question de la plausibilité des tâches : un des reproches faits par le public cible à la préparation d'anniversaire est qu'elle est vue comme étant trop loin de la réalité quotidienne. N'y aurait-il donc pas de place pour l'imaginaire dans une formation en langues pour un public adulte ? On pourrait croire que Springer répond à cette question lorsqu'il écrit qu'"on recherche (…) une 'sincérité' de la tâche, qu'elle soit de type social, de type scolaire ou de type artistique" (Springer, 2009 : 29).

27Une autre échappatoire à ce contexte quotidien est celle d'un thème qui n'est habituellement pas traité par les apprenants. Ainsi, Dervin évoque la publication d'Ellis (2003) dans la définition de ce qui serait une "bonne" tâche, menant à des négociations : elle "suscite des échanges doublés d'informations, elle mène à un résultat fermé, elle ne fait pas partie des activités habituelles des apprenants, elle propose une problématique humaine/éthique (…)" (Dervin, 2009a : 112). Mais, avec un résultat fermé et si elle ne fait pas partie des activités habituelles des apprenants, cette tâche ne s'inscrit plus vraiment dans la perspective actionnelle… (ce qui n'est évidemment pas un problème en soi, mais est étonnant dans un numéro de revue sur la perspective actionnelle). Les projets décrits par Lepez (2008) ainsi que Hamez et Lepez (2009) s'inscrivent également dans une thématique (inter)culturelle sans doute peu habituelle pour les étudiants, mais correspondent, quant à eux, par ailleurs entièrement à la perspective actionnelle.

3.4. Des tâches avec un résultat constatable

28"La notion de tâche renvoie à une action finalisée, avec un début, un achèvement visé, des conditions d'effectuation, des résultats constatables (réparer une machine, remplir un formulaire, acheter un billet de train sur Internet, jouer au loto)" (Coste, 2009 : 15). Là encore, une "tâche" qui fait exception dans le corpus décrit a été conçue par un étudiant en master FLE. Les apprenants doivent simuler une "petite discussion argumentative" qu'ils enregistrent. Mais peut-on considérer ici l'enregistrement comme un produit final ? Ou bien l'accord sur le choix d'une ville dans laquelle ils n'iront sans doute pas ? On revient alors sur le débat qui a fait couler beaucoup d'encre en lien avec l'approche communicative, sur l'objectif des actions qui doit faire sens pour l'apprenant (ce qui correspond au point 3.3.), et où justement la communication n'a pas toujours un objectif autre que la communication elle-même. Un autre contre-exemple est celui des cyberquêtes, auxquels fait référence Villanueva (2009). En effet, le fait de chercher collectivement sur Internet et de trouver ce que l'on cherche ne signifie pas automatiquement que l'on a accompli une tâche. Par exemple, la recherche d'informations ne représente qu'une étape dans la préparation d'un exposé. Comme le montrent ces deux exemples, l'acception de ce qu'est une tâche n'est pas unanime, même dans un numéro de revue qui porte sur la perspective actionnelle du CECR.

29En effet, un grand nombre d'auteurs des articles analysés ici font référence à la centration sur la tâche indifféremment selon le CECR et selon l'approche anglo-saxonne du task-based learning (apprentissage basé sur les tâches), dont Ellis (2003) est le représentant le plus communément cité. Si l'ouvrage d'Ellis est d'un apport indiscutable dans une démarche pédagogique centrée sur la tâche, il existe néanmoins un certain nombre de contradictions entre ce qu'il définit comme étant une tâche et les définitions données par le CECR. Pour cette raison, une référence indistincte aux deux peut poser problème. Les tâches indiquées par Ellis (2003 : 5) ont pour objectif de faire communiquer. Prenons l'exemple d'une activité où il faut repérer des différences sur des images dont dispose chacun des élèves, ou d'autres activités où il s'agit cette fois pour les élèves d'écouter ou de lire un document et de le comprendre (Ellis, 2003 : 10), sans utilisation ultérieure de l'information qui aura ainsi été comprise. Contrairement aux tâches que le CECR désigne comme "authentiques", aucune production, prise de décision ou résolution de problème n'est donc demandée ici.

30De la même manière, des activités fermées (dont le résultat est exactement prévisible) font partie de ce qu'Ellis (2003 : 217) considère comme étant des tâches, alors que celles du CECR sont par essence ouvertes. Les différences que nous venons d'indiquer s'expliquent très simplement par le fait que les tâches d'Ellis visent l'apprentissage de la langue (language learning tasks), alors que les tâches "authentiques" du CECR s'inscrivent dans une vision plus large et correspondent le plus souvent à ce qu'Ellis (2003 : 220), en référence à Long (1985), appelle les tâches-cibles (target tasks), c'est-à-dire les activités du monde réel dans lesquelles s'engagent des personnes, "i.e. the real-world activities [people in particular occupations] engage in" (cf. 3.3.). Elles peuvent, comme l'explicite le CECR, être exclusivement langagières, partiellement langagières ou non langagières et s'opposent aux "tâches pédagogiques" qui "sont assez éloignées de la vie réelle et des besoins des apprenants ; elles visent à développer une compétence communicative (…) [et] sont pertinentes (ici et maintenant dans la situation formelle d'apprentissage)" (Conseil de l'Europe, 2001 : 121), et que nous appellerons "activités" et non "tâches pédagogiques", pour mieux les distinguer des tâches qui sont au centre de la perspective actionnelle.

Tableau 1 – Définition non unanime de la tâche dans le CECR et chez Ellis (2003).

Tâche dans le CECR

Tâche dans le "task-based learning" d'Ellis (2003)

Objectif : apprendre à réaliser (ensemble) des tâches en LE

Objectif : faire communiquer pour apprendre à communiquer en LE

Production, prise de décision ou résolution de problème

Repérer des différences sur une image ; activités de compréhension orale ou écrite...

Il s'agit de ce qu'Ellis appelle les "target-tasks" (tâches-cibles)

"Language learning tasks", même si les tâches-cibles ne sont pas exclues

La tâche "authentique" (tâche-cible) est distinguée de la "tâche pédagogique" [activité langagière ou méthodologique, ndla], qui a un intérêt seulement dans la situation d'apprentissage de la langue

Centrée sur le sens et non sur la forme (pour se distinguer des méthodologies précédentes)

31Ellis insiste par ailleurs beaucoup sur le fait que les tâches sont centrées en premier lieu sur le sens et non sur la forme de la langue : "'Tasks' are activities that call for primarily meaning-focused use" (Ellis, 2003 : 3). Même si cela vaut toujours pour les tâches dans la perspective actionnelle du CECR, on voit ici clairement l'héritage de Nunan (1989) et de l'approche communicative, où il s'agissait d'éviter de purs exercices structuraux non rattachés à une activité où cet exercice pouvait prendre un sens pour l'apprenant (rappelons que dans les méthodologies audio-orale et audio-visuelle encore, la conception des unités du manuel et l'écriture des dialogues se faisaient en fonction de l'objectif grammatical). Dans la perspective actionnelle, c'est la tâche dans sa globalité qui doit faire sens pour l'apprenant parce qu'elle relève de son univers actuel ou futur (cf. 3.3.), et les activités langagières et le travail méthodologique font alors sens parce qu'ils servent à préparer ou à soutenir la réalisation de cette tâche.

3.5. Le recours à Internet dans la scénarisation

32Un facteur qui a sans doute fortement contribué à la naissance de la perspective actionnelle avec sa centration sur la tâche est l'intensification de l'utilisation d'Internet. Ainsi, là où l'enseignant était au préalable celui qui fournissait le document en langue étrangère à l'apprenant (éventuellement à travers le manuel), ce dernier a maintenant facilement accès à des documents en langue étrangère de toute nature (textes, images, vidéos, documents sonores, etc.) sur la Toile. La centration sur le document, à partir duquel toutes les activités étaient conçues, qui était de mise dans toutes les méthodologies précédentes et encore dans l'approche communicative, fait dans la perspective actionnelle place à la centration sur la tâche, où l'apprenant peut éventuellement choisir et sélectionner lui-même les documents, et où tous les documents servent maintenant la réalisation de la tâche (Puren 2001 : 32). Si Internet a donc joué un rôle important dans l'émergence de la perspective actionnelle, quelle utilisation en est prévue dans le cadre de la réalisation des tâches sur lesquelles nous nous focalisons ici ?

33Dix des 13 articles analysés ici, et donc la majorité, prévoient un recours à Internet. Celui-ci n'est cependant pas systématique, comme dans la "mission" ressemblant au DCL de Durietz et Jérôme (2009), dans les tâches interculturelles envisagées par Auger et Louis (2009) où Internet n'est pas mentionné dans l'état actuel de leur réflexion, ou dans le travail en cours à partir de journaux d'étonnement, tenus par des étudiants faisant un externat en médecine à l'étranger (Reinhardt, 2009). Reinhardt se positionne d'ailleurs explicitement contre une utilisation du multimédia, car à ses yeux, la scénarisation serait ici moins réussie avec le recours aux technologies. Selon lui, en ligne, "l'analyse des productions et des situations et le transfert à d'autres situations que peut réaliser l'enseignant" (Reinhardt, 2009 : 51) n'est pas possible, car la médiation de l'enseignant est nécessaire pour montrer que les situations peuvent varier d'un hôpital à un autre ; par ailleurs, toujours selon lui, une formation à l'auto-évaluation se fait de manière optimale dans le cadre d'un enseignement présentiel. Il est clair que lorsqu'on a une conception d'une nécessaire médiation par l'enseignant, l'utilisation d'Internet avec toutes les initiatives que cela demande et laisse aux apprenants, n'est pas la bienvenue. D'autres scénarios pédagogiques incluent cependant le tutorat en ligne, comme nous le verrons plus loin.

34Le recours à Internet dans les dix autres scénarios se fait de quatre manières. Trois d'entre elles sont mentionnées par Puren (2009 : 159) qui clôt le numéro du FDM-RA : l'accès à des documents en ligne, la collaboration en ligne et la publication de travaux d'étudiants. La quatrième est celle du tutorat à distance.

35- L'accès à des documents sur une plateforme ou leur recherche sur la Toile se pratique dans la quasi-totalité de ces scénarios. Ainsi, la Toile peut être une source d'informations exclusive, comme par définition dans les cyberquêtes mentionnées par Villanueva (2009), ou bien représenter une source d'information parmi d'autres, pour préparer la visite d'un musée ou pour suivre l'actualité en vue de faire une revue de presse hebdomadaire, par exemple (Lepez, 2008). Allant plus loin que la simple prise d'informations, certaines tâches exigent une analyse critériée de sites Internet ; c'est le cas d'Oritz et Denorme (2009), où les étudiants élaborent une grille de sélection de l'université d'accueil pour un séjour Erasmus à partir des sites universitaires, ou encore dans cet exemple où les apprenants font une production écrite "qui leur fait jouer le rôle d'un critique" après la lecture de blogues et d'articles exprimant des avis divergents sur un thème donné (Grundy, 2009 : 123). Des ressources (fichiers texte, audio ou vidéo) ainsi que des activités pédagogiques peuvent également être mises à disposition des apprenants sur Internet lorsque la formation inclut une plateforme d'apprentissage en ligne (Mangenot & Penilla, 2009 ; Nissen, 2009).

36- Dans le cadre d'une collaboration (ou co-action) entre étudiants en ligne avec objectif interculturel, l'étudiant étranger – et non la Toile comme dans les exemples que nous venons de mentionner – est considéré comme une source d'informations précieuse. Ici, l'interaction est synchrone et se fait par clavardage ou par visioconférence. Elle a pour objectif l'élaboration conjointe de documents ou de définitions (Dervin 2009a, 2009b). Mais que ce soit sans ou avec objectif interculturel, la co-action entre apprenants semble presque aller de pair avec la perspective (co-)actionnelle : elle est explicite dans neuf des 13 scénarios étudiés, ce qui montre l'importance dans l'apprentissage (de la réalisation d'une tâche) que lui accordent non seulement le CECR, mais aussi les concepteurs des scénarios décrits. Cette co-action se fait néanmoins le plus souvent en présentiel et non via Internet. Ce n'est que dans les formations entièrement à distance (Mangenot & Penilla, 2009 ; Nissen, 2009), ainsi que dans les formations hybrides (Nissen, 2009 ; Dervin, 2009a, 2009b), qu'elle se déroule en ligne : exclusivement en ligne lorsqu'il s'agit d'une interaction entre étudiants dans différents pays, et partiellement en ligne lorsqu'il s'agit d'étudiants du même campus.

37- La publication de travaux des apprenants en ligne. Les pères de la théorie de l'action, comme Freinet par exemple (et le lien du CECR avec cette théorie est évident, même s'il n'y est pas explicité), ont déjà montré qu'il est important pour la motivation de l'apprenant que ses productions soient visibles et vues par d'autres personnes que l'enseignant. Internet permet facilement de rendre ces productions accessibles en dehors du cadre de la classe. Il est donc étonnant de voir que, dans les scénarios étudiés ici, cette publication reste relativement rare. Si la présentation des productions aux autres apprenants du groupe-classe est relativement fréquente (lorsqu'il s'agit d'exposés ou d'un mémoire de licence par exemple), seuls trois scénarios comportent une diffusion des productions finales en dehors de la "classe", et encore, celle-ci relève dans un cas plus d'un accès libre que d'une diffusion active. Ainsi, dans les activités présentées par Mangenot et Penilla (2009), les productions des apprenants sont librement accessibles aux internautes sur la plateforme. Seuls les projets culturels décrits par Lepez (2008) ainsi que Hamez et Lepez (2009) visent une diffusion active de la production finale.

38- Le tutorat en ligne reste plutôt l'exception. Il existe, et cela paraît logique, dans des formations à distance (Le français en première ligne, Mangenot & Penilla, 2009 ; Babbelnet, Nissen, 2009). Dans les formations hybrides, la préoccupation de réussir le tutorat est manifeste (aussi bien chez Dervin, 2009b, que chez Nissen, 2009). Il ne se déroule néanmoins pas pour autant systématiquement à distance. Sans doute en fonction du statut qu'attribuent les concepteurs de la formation à la modalité distantielle (dominante ou non), le tutorat se déroule majoritairement à distance (Nissen, 2009) ou au contraire exclusivement en présentiel (Dervin, 2009b).

4. Conclusions

4.1. Retour sur les tâches proposées et mise en regard avec la tâche dans la perspective actionnelle

39Comme l'a montré notre analyse, le CECR semble aujourd'hui être devenu une référence incontournable. Mais si la référence aux niveaux de compétence est maintenant systématique, celle à la perspective actionnelle ne l'est pas, si l'on prend en considération l'ensemble des textes des deux numéros de revues et de l'ouvrage collectif étudiés. Parmi les textes décrivant concrètement des dispositifs de formation, l'approche communicative garde une petite place ; la perspective actionnelle est néanmoins mise en avant dans la grande majorité des cas.

40Par définition, cette perspective se met en place par la centration sur la tâche (même s'il s'avère que la définition qu'ont les auteurs de la tâche ne correspond pas toujours exactement à celle d'une tâche "authentique" du CECR). Il s'agit le plus souvent de mono-tâches, comme la production d'un écrit ou d'un oral, qui s'ancrent dans le contexte "réel" actuel ou futur des apprenants. On y trouve cependant quelquefois des thématiques un peu moins "quotidiennes", d'ordre artistique ou (inter)culturel. Dans une perspective centrée sur la tâche, le recours à Internet, par exemple pour rechercher des informations nécessaires à son accomplissement ou pour co-agir en vue de sa réalisation, relève d'une démarche cohérente ; ce recours n'est toutefois pas systématique. En nous appuyant sur un résumé de ce qu'est la tâche dans le CECR que nous avons fait il y a quelques années déjà (Nissen, 2003 : 33), nous résumons dans le tableau 2 le lien entre les exemples de tâches présentés dans les textes analysés et la définition de la tâche par le CECR.

Tableau 2 – Résumé des caractéristiques des tâches analysées et de leur lien avec la tâche dans le CECR.

La tâche dans la perspective actionnelle (CECR)

Les exemples de tâches analysées

1. La tâche peut être langagière, avoir une composante langagière ou être non langagière (Conseil de l'Europe, 2001 : 19)

Compétences travaillées : langagières et autres (interculturelles, d'apprentissage autonome, méthodologique)

2. Elle peut être complexe et comporter des sous-tâches (Conseil de l'Europe, 2001 : 121)

Les tâches sont complexes, ces mono-tâches, projets ou suites de tâches scénarisées se trouvent au centre du scénario pédagogique

3. Elle est orientée vers un but à atteindre, un problème à résoudre, une obligation à remplir ; elle est "un ensemble d'actions finalisées dans un certain domaine avec un but défini et un produit particulier" (Conseil de l'Europe, 2001 : 121)

Ce critère de la tâche du CECR s'applique le plus souvent, mais la définition de la tâche peut différer, essentiellement en référence à la tâche chez Ellis (2003)

4. Elle est une tâche sociale qui s'inscrit dans un contexte social et peut être réalisée seul ou à plusieurs (Conseil de l'Europe, 2001 : 15)

Le travail en groupe est très répandu (il est explicité dans neuf textes sur 13)

5. Elle est "authentique" en ce qu'elle consiste en une activité quotidienne, dans le cadre du travail, des études ou de la vie privée (Conseil de l'Europe, 2001 : 121)

"Réalisme" de la tâche, mais auquel il existe des exceptions (par exemple, par la thématique artistique, culturelle ou interculturelle)

4.2. Sous-tâche, activité, aide... et lien avec la tâche

41Dans la manière dont la tâche était présentée aux apprenants, nous avons distingué dans cet article différentes notions, que nous allons brièvement reprendre ici afin de clarifier la distinction que nous faisons entre ces termes.

42Bien qu'il existe des tâches simples, dans l'enseignement-apprentissage des langues dans une perspective actionnelle comme partout ailleurs, nous nous concentrons ici sur les tâches complexes pour les besoins de la distinction entre les notions que nous effectuons. Une tâche complexe est donc celle qui comporte des sous-tâches, que l'on peut encore appeler étapes (cf. tableau 2). Nous ne parlons délibérément pas de tâche finale, en effet ce terme serait certes adapté dans le cas d'une mono-tâche mais il prêterait à confusion dans le cadre d'une suite de tâches scénarisée ou d'un projet impliquant plusieurs tâches, car une tâche complexe n'est ici pas forcément une tâche finale. Par exemple, élaborer une grille de sélection pour une université est bien une tâche complexe, mais est également un moyen pour arriver à sélectionner une université pour un séjour Erasmus (cf. Oritz & Denorme, 2009) et n'est donc ici pas une tâche finale.

Figure 3 – Représentation schématique des notions utilisées en lien avec la réalisation d'une tâche complexe.

Figure 3 – Représentation schématique des notions utilisées en lien avec la réalisation d'une tâche complexe.

43La sous-tâche (ou étape) est directement orientée vers la réalisation de la tâche complexe et fait partie intégrante de la tâche. Dans le cadre de la rédaction d'une synthèse par exemple (cf. Durietz & Jérôme, 2009), la recherche ou le recueil d'informations représente une des sous-tâches. Les activités d'entraînement au contraire ne visent pas directement l'accomplissement de la tâche, mais représentent, par exemple, un entraînement langagier, méthodologique, culturel, cognitif, etc. de la tâche ou d'une de ses sous-tâches. Elles ont pour objectif d'attirer l'attention sur certains aspects et de travailler ainsi des compétences mises en œuvre ensuite dans le cadre de la réalisation de la tâche. Ces activités peuvent être de nature diverse, et être ouvertes ou fermées (dans ce dernier cas, il s'agit alors d'exercices). Beaucoup des tâches "communicatives" d'Ellis (2003) peuvent rentrer dans cette catégorie (cf. partie 3.4.). Par ailleurs, à différents moments dans le scénario, des aides peuvent être mises à disposition de l'apprenant afin de faciliter la réalisation de la tâche ou des sous-tâches. Il peut ici s'agir par exemple d'une fiche méthodologique, de dictionnaires, d'une fiche de vocabulaire, etc. La présence d'autres aides, organisationnelles ou métacognitives, sera plus fortement liée au scénario pédagogique qu'à la nature de la tâche elle-même. À titre d'exemple, la présence d'un planning dépend de la mise en scène de la réalisation de la tâche et bien moins de la tâche en tant que telle. Sachant que, de toute manière, toute scénarisation pédagogique d'une tâche dépendra inévitablement de facteurs tels que l'importance que son concepteur accorde aux différents aspects langagiers (les compétences mises en avant, le lexique, la grammaire, la phonétique…) ou autres (méthodologique, cognitif, pragmatique, métacognitif, culturel…) ainsi que du public cible, et que deux tâches scénarisées par des personnes différentes et dans des contextes différents ne se ressembleront probablement que dans les grandes lignes.

4.3. Interrogation sur le public visé dans les textes analysés

44Comme nous l'avons constaté précédemment dans cet article, le public visé dans les 13 textes analysés est dans 12 cas un public d'étudiants, et dans l'autre cas un public professionnel. Est-ce parce que les universitaires qui publient reflètent plus facilement leurs expériences avec leurs propres dispositifs et scénarios ? Ou bien parce que l'approche par les tâches se met plus facilement en place dans un contexte peu contraignant (l'institution n'impose généralement pas un mode de fonctionnement comme c'est le cas en contexte scolaire) et avec un public adulte avec une "réalité" de situations de (co-)action en langue étrangère plausibles ?

On ne manquera pas de relever que, dans leur insertion institutionnelle, les projets (pédagogie du projet), les simulations (globales ou moins globales), les échanges scolaires et autres ensembles d'activités constituant une sorte de macro- ou supra-tâche gardent souvent un caractère paradoxalement marginal et ne s'inscrivent pas pleinement dans le cursus "ordinaire" (Coste, 2009 : 19).

45Les textes analysés donnent par conséquent une image partielle de ce que peuvent être les tâches effectivement proposées aux apprenants et s'inscrivant dans une perspective actionnelle. Il serait intéressant de recouper ces tâches, universitaires pour la plupart, avec celles proposées en milieu scolaire ; vu surtout que les textes officiels pour l'enseignement secondaire en France introduisent peu à peu la perspective actionnelle.

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Bibliographie

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Une seule tâche : centration du scénario pédagogique sur celle-ci.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/2344/img-1.png
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Titre Figure 2 – Suite de tâches scénarisée : enchaînement de tâches, dans une logique définie par la situation, au sein du scénario pédagogique.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/2344/img-2.png
Fichier image/png, 65k
Titre Figure 3 – Représentation schématique des notions utilisées en lien avec la réalisation d'une tâche complexe.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/2344/img-3.png
Fichier image/png, 104k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Elke Nissen, « Variations autour de la tâche dans l'enseignement / apprentissage des langues aujourd'hui »Alsic [En ligne], Vol. 14 | 2011, mis en ligne le 11 octobre 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/alsic/2344 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsic.2344

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Auteur

Elke Nissen

Elke Nissen est maître de conférences à l'université Stendhal-Grenoble 3 et membre du laboratoire Lidilem. Ses recherches portent sur l'analyse des modalités d'apprentissage dans des contextes médiatisés, et plus particulièrement des formations en langues à distance et hybrides.
Affiliation : laboratoire Lidilem, université Stendhal-Grenoble 3, France
Courriel : Elke.Nissen@u-grenoble3.fr
Adresse : université Stendhal-Grenoble 3, UFR de langues, BP 25 – 38040 Grenoble Cedex 9, France.

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