1En 2003, le rapporteur du budget de l’éducation nationale et la Cour des comptes, dans des termes identiques, caractérisaient la situation française selon ces termes : les effectifs ont baissé, les moyens se sont accrus et les résultats sont médiocres (nous étions peu après les premiers résultats de PISA). Quinze ans après, le constat n’a pas beaucoup changé. La massification du système scolaire est achevée, la contrainte budgétaire sur les moyens est devenue forte et les résultats aux enquêtes internationales se sont plutôt dégradés. D’où une appréciation pessimiste sur l’état de notre système éducatif, qui contraste avec le ton optimiste des premiers « États de l’école » réalisés par Claude Thélot (2004). Des réformes se sont succédé pendant cette période, en termes de gouvernance, propres à l’éducation nationale ou générales à la sphère publique, comme la mise en œuvre de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sans que les résultats du système éducatif n’en apparaissent modifiés. Quelques éléments d’explication sont esquissés ci-dessous
2La première interrogation porte sur l’allocation globale des moyens et les priorités données selon les ordres d’enseignement. La France n’a pas remis en cause ses choix budgétaires, qui favorisent très largement le lycée au détriment du collège et surtout de l’école primaire. La France est le pays de l’OCDE où l’écart entre le coût d’un élève du primaire et du secondaire est le plus fort et où l’écart entre le coût d’un étudiant et d’un élève du secondaire est le plus faible.
3La seconde interrogation porte sur l’absence d’articulation entre l’allocation des moyens et la performance. L’esprit de la LOLF était d’établir un lien entre les coûts et les moyens de l’action publique, ici l’action éducative et les résultats ou la performance de cette action. Cet objectif n’a pas été atteint, pas plus à l’éducation nationale que dans le reste de la sphère publique. L’introduction d’éléments de performance, dans les conférences budgétaires entre le ministère de l’éducation nationale et le ministère du budget n’a débouché sur rien de concret et aucun mécanisme d’allocation des moyens, ni entre le ministère et les académies, ni entre les académies et les établissements n’introduit des éléments de performances. La prise en compte de la performance est également faible dans toute la politique de gestion des ressources humaines, et notamment en matière d’affectation ou de promotion des enseignants. Ce refus ou cette absence de prise en compte des résultats a rendu inopérants – en l’absence de sanction ou de conséquence – des mécanismes comme le contrat entre le ministère et les académies, ceux entre les académies et les établissements ou les quelques tentatives menées par les académies en matière d’évaluation des établissements du second degré.
4La troisième interrogation porte sur le décalage entre l’outillage de grande qualité dont s’est dotée la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) en matière d’études statistiques et d’évaluation et l’utilisation qui en est faite aux différents niveaux du système éducatif. Les travaux de la DEPP, rejoignant ceux des chercheurs, ont montré le caractère inefficace et inéquitable du redoublement, ce qui n’a pas empêché des ministres d’avoir des positions contraires, au moment de la loi Fillon de 2005. Le développement des évaluations ne s’est pas toujours accompagné de la fourniture des ressources pédagogiques nécessaires à la remédiation des difficultés, ni surtout d’une véritable utilisation des évaluations pour le pilotage pédagogique des établissements. Il en est de même des indicateurs de valeur ajoutée des lycées (IVAL), peu utilisés par les recteurs pour le pilotage des lycées. De ce point de vue, le dispositif d’évaluation mis en place pour les cours préparatoires à effectifs réduits manifeste une rupture salutaire avec les pratiques précédentes.
5La quatrième interrogation porte sur la conception des réformes pédagogiques. La mise en place de dispositifs pédagogiques s’accompagne rarement d’une évaluation au départ. Lorsque ces derniers font l’objet d’expérimentations, la généralisation se fait avant toute évaluation sérieuse des résultats. Et, très souvent, avant qu’on ait pu en mesurer les effets, un nouveau dispositif remplace le précèdent ou coexiste avec lui. Se pose en outre, de manière générale, compte tenu de la masse du système éducatif, la question de la généralisation et de la diffusion dans tous les établissements, dans toutes les classes, d’une réforme pédagogique, avec les questions de formation qu’elle entraîne. La double question de la mise en œuvre homogène et de la mesure de l’efficacité des réformes n’est pas bien résolue.
6Se pose enfin la question du mode de pilotage du système éducatif. Malgré une gestion très déconcentrée, le pilotage du système éducatif reste un pilotage centralisé et descendant du ministère vers les académies et des académies vers les établissements. C’est un pilotage par la norme, avec une production massive de textes réglementaires et de circulaires, plus qu’un pilotage par les résultats. Au-delà du discours, la place de l’établissement scolaire, lieu de formation des réussites comme des inégalités, est mal reconnue. Il n’y a pas de véritable évaluation des établissements, à la différence des autres pays. Il y a un refus d’attribuer un rôle aux chefs d’établissement dans la gestion des ressources humaines, en matière de recrutement ou d’évaluation des enseignants. Et l’on continue de privilégier l’évaluation individuelle dans la classe par rapport à l’évaluation collective.